Le cardinal Begoglio et padre Pepe di Paola il y a près de 30 ans, à Buenos Aires. Le cardinal Begoglio et padre Pepe di Paola il y a près de 30 ans, à Buenos Aires. 

À Buenos Aires, les villas pleurent François

Le week-end dernier, une messe d'action de grâce a été célébrée sur le parvis de la cathédrale de Buenos Aires, une caravane a également parcouru tous les endroits chers à l'ancien archevêque de la ville, élu Pape en 2013. L'Église de François qui incluait «todos, todos, todos», a conclu sa procession à la Villa 21-24, un bidonville au cœur de la capitale où Mgr Bergoglio envoya le père Pepe di Paola en 1997. Ce dernier revient sur la proximité et l’engagement social de son ancien évêque.

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

Il est l’incarnation des prêtres œuvrant dans les bidonvilles en Argentine. En 1997, à 35 ans, le père Pepe di Paola fut un des premiers à qui Mgr Jorge Mario Bergoglio, archevêque coadjuteur de Buenos Aires, confia la tâche d’accompagner les fidèles nombreux d’une paroisse en proie à l’extrême pauvreté et à la drogue, la Villa 21, située au cœur de la capitale argentine. Au fil des années, «l’évêque Jorge» ne manqua jamais d’apporter son soutien à son action pastorale et à sa personne, en particulier lorsque le prêtre fut menacé par les trafiquants, qui n’appréciaient ni les initiatives de prévention ni de soins apportées aux toxicodépendants. La mission de l’Église dans les Barrios (les quartiers) pris un nouvel essor, lorsque le cardinal Bergoglio créa en 2009, un vicariat pour les villas (les bidonvilles), afin d'encadrer le travail des prêtres dans les bidonvilles de Buenos Aires.

Padre Pepe di Paola revient sur le deuil des Argentins, la proximité du Pape avec les habitants et les prêtres des bidonvilles de Buenos Aires, l'explosion des vocations sacerdotales pour mettre l'Église en sortie auprès des plus pauvres et sur le voyage qui n'aura pas eu lieu du Pape sur sa terre natale. 

Padre Pepe di Paola, avec de jeunes hommes du centre de soins de Madre del Puente Carretero, qui appartient à Hogares de Cristo et à la paroisse de Nuestra Señora de Lourdes à Buenos Aires.
Padre Pepe di Paola, avec de jeunes hommes du centre de soins de Madre del Puente Carretero, qui appartient à Hogares de Cristo et à la paroisse de Nuestra Señora de Lourdes à Buenos Aires.

Comment les bidonvilles rendent-ils hommage à François?

De nombreux habitants de Buenos Aires rendent hommage à l'évêque Jorge, mais les gens des bidonvilles avaient une place particulière dans son cœur. Il n'a pas seulement établi de liens avec les prêtres des quartiers pauvres -il appréciait que des prêtres vivent dans ces quartiers, mais il a aussi créé des liens et travaillé avec les gens du quartier. Et cela a fait que la réalité de l'Église de Buenos Aires, tant dans la foi que dans l’engagement social, est née du travail engagé, de cette proximité. Et Mgr Bergoglio adorait ça. Il montrait beaucoup d’empathie. Il était d’une grande simplicité. Il prenait le bus, il se déplaçait aussi à pied. Les gens le voyaient tout le temps. C’est vraiment quelque chose qui a rapproché les gens. C'était surprenant pour eux parce qu’ils n’avaient jamais vu un évêque faire cela. Alors, ils le pleurent comme s’ils avaient perdu leur père. Ils se sentent orphelins. Ailleurs dans le pays, dans les autres quartiers populaires, beaucoup de gens le regrettent également car ils commencent à comprendre qu’il était le Pape des pauvres, des quartiers, des bidonvilles, des endroits où peut-être l’État n’est pas encore arrivé, des endroits où l’Église est vivante grâce à l’engagement de François.

De quoi les bidonvilles sont-ils le signe dans l'Église de François?

Les bidonvilles sont à l’image de l’Église que François souhaitait. Une Église pauvre pour les pauvres et une Église qui soit un hôpital de campagne, où personne n’est laissé de coté. Et c’est une spécificité des bidonvilles, cette attention à tous. Si une mère de famille y croise des enfants orphelins, alors elle s’en occupera. C’est une grande famille. Personne n’est laissé seul. Dans les bidonvilles, l’Église, c’est tout le quartier, pas seulement le temple.

De Buenos Aires au Vatican, quel est l'héritage de cette «l'Église en sortie»?

Le cortège de dimanche (à Buenos Aires) est l’expression de cette Église en sortie qui est incarnée par Jorge Mario Begoglio ; lui qui est allé à l’hôpital, dans les prisons, sur les places, dans des lieux où vivent des personnes âgées, lui qui est allé dans les bidonvilles. C’est une Église qui ne regarde pas vers l'intérieur, mais vers l'extérieur. Il a dit à plusieurs reprises qu'il fallait se méfier de ceux qui ne s'occupent que de leurs brebis, et pas de celles qui sont dispersées ailleurs. L'idée de l'Église en sortie est donc quelque chose que François a incarné. Il ne s'est pas contenté de prêcher.

Quelle proximité manifestait Jorge Mario Bergoglio avec vous les prêtres des villas?

Je dis toujours qu'il était en phase avec nous à cause de sa façon de vivre. En d'autres termes, les prêtres des bidonvilles étaient un exemple pour lui, en ce sens qu'ils vivaient dans le quartier et se rendaient compte qu'ils devaient vivre en bon voisinage avec chacun. Et dans ce lien qui s'est créé, il y a eu beaucoup de confiance entre les habitants et les prêtres. La vie de l'Église se déroulait dans cette atmosphère. Mgr Bergoglio s'est rapproché de nous et nous a tellement soutenus que de 7 à 8 prêtres que nous étions, nous sommes passés à une vingtaine et le séminaire diocésain de Villa Devoto envoyait désormais des séminaristes dans les villas.

Mgr Bergoglio, comme évêque a aussi été un moteur de cette prédication. Par exemple, Jean-Paul II, en l'an 2000, a proposé que chaque diocèse soit consacré à la Vierge. Le 8 décembre, tous les 8 décembre, Mgr Bergoglio venait à la Villa 21. Cette année-là, je l'ai appelé au téléphone et lui ai dit: «Écoutez, patron, vous venez toujours le 8 décembre. Mais maintenant, Jean-Paul II vous demande de consacrer le diocèse à la Vierge... Dans quelle église allez-vous?». Je pensais qu'il allait se rendre dans un sanctuaire marial important à Buenos Aires. Et il m'a dit: «Quoi de mieux que de consacrer la ville de Buenos Aires à la Vierge de Caacupé, dans la Villa 21? Quoi de mieux, Pepe?». J'étais heureux, je ne m'attendais pas à une réponse aussi catégorique. Et la vérité est que cela représentait vraiment ce qu'il ressentait et c'est aussi un enseignement pour le reste de l'Église.

Murales représentant Jean-Paul II, François et la Vierge de Lujan, la patronne de l''Argentine
Murales représentant Jean-Paul II, François et la Vierge de Lujan, la patronne de l''Argentine

Comment l'Église peut-elle empreinter la voie tracée par Jorge Mario Bergoglio devenu François?

Pour l'Église de demain, je pense que nous avons besoin d'un Pape qui sache organiser. Jorge Mario Bergoglio ou François nous a donné des horizons à atteindre, des objectifs à atteindre très clairs: être plus proche de l'Évangile, plus proche d'une Église en état de mission, où l'on cherche plus à atteindre l'autre qu'à se regarder le nombril, comme il l'a dit. Mais il manque maintenant quelqu'un pour compléter tout cela. Un Pape qui puisse porter tous ces projets qui étaient dans l'esprit et dans la prédication de notre Pape François. Je crois donc que le Pape qui viendra devra avoir cette capacité d'organiser l'espoir. En bref, d'organiser tout ce dont le Pape François a parlé et qu'il a prêché au monde.

Padre Pepe di Paola.
Padre Pepe di Paola.

 

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28 avril 2025, 15:33