Le Pape François et l'Afrique: «une relation d’amour, de vérité et de liberté»
Françoise Niamien - Cité du Vatican
Décédé le lundi de Pâques, 21 avril 2025, l’inhumation du 266e Pape de l’Église catholique a lieu ce samedi 26 avril, au sein de la basilique Sainte-Marie majeure à Rome.
En douze années de pontificat, et à cinq reprises, le Pape François a visité dix pays en Afrique: le Kenya, la Centrafrique et l’Ouganda en 2015; l’Égypte en 2017; le Maroc puis le Mozambique, l’Ile Maurice et Madagascar en 2019; la République Démocratique du Congo et le Soudan du Sud, en 2023. Il aura créé 17 cardinaux pour le continent qui compte plus 281 millions de catholiques. Aussi, face aux nombreux maux qui minent ce continent, le Pape François n’avait de cesse d’appeler à la libération de l’Afrique et d’exhorter les Africains eux-mêmes à la paix et à l’espérance. Dans cet entretien accordé à Vatican News et portant sur la place de l’Afrique dans le pontificat du Pape défunt, le père Zagoré nous situe sur l’héritage que le Saint- Père lègue à l’Église et à la société africaine.
Quel souvenir gardez-vous du Pape François ?
Tout d'abord, je voudrais saluer la mémoire de ce grand homme qu'il a été, tout en rendant grâce à Dieu pour le don de sa vie à l'Église et à toute l'humanité. Le Pape François a été un Souverain pontife de la révolution et du changement pour avoir bousculé les lignes en nous interpellant sur notre façon de vivre l'Évangile, notre apport aux messages du Christ. Nous retenons que le Pape défunt a été prophète en son temps et pour son temps.
Quelle a été la place de l’Afrique dans le pontificat du Pape François ?
Il faut admettre qu’il n’y a pas eu de relation fondamentalement particulière avec l’Afrique. En revanche l’Afrique a eu une place considérable dans le pontificat du Pape François. Il a effectué cinq voyages en Afrique visitant 10 pays et a créé dix-sept cardinaux africains, en douze ans de pontificat. Il s’est impliqué directement dans la résolution de certains conflits tant politiques que pastoraux sur le continent africain. On se souvient encore de son implication personnelle dans la crise dans le diocèse d’Ahidar, au Nigeria. Après le rejet de Mgr Okpaleke, le Pape en a fait plus tard un cardinal.
Il a été le premier Pape dans l'histoire du pontificat à célébrer une messe selon le rite Zaïrois à la basilique Saint-Pierre valorisant ainsi la culture africaine et tous les fruits des travaux sur l'inculturation. Toutefois, il y a eu ce que nous pouvons appeler un grand froid avec l’Afrique sur la question de la bénédiction des unions de personnes de mêmes sexes, contenu dans le document doctrinal Fiducia Supplicans de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Le cardinal Fridolin Ambongo, président du symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar, SCEAM, signifiait que la réaction de l’Église en Afrique sur cette question n’avait pas laissé le Pape indifférent. L’épiscopat africain a proposé d'autres orientations, à la suite de la publication du document.
C’est aussi cela la synodalité qu'il a toujours promue dans le dialogue, où les points de vue sont exprimés et respectés. Et tout, dans la vérité, mais avec beaucoup d'amour et beaucoup de fraternité. En somme, nous pouvons parler d’une relation d’amour entre l'Afrique et le Pape François, un amour vécu aussi dans la vérité et la liberté.
Quel héritage laisse-t-il à l’Église en Afrique ?
Le Pape François a été le Pape «des pauvres», le Pape «des périphéries», des «plus abandonnés». Il l’a dit clairement: «Je désire une Église pauvre pour les pauvres». Il a remis la question des pauvres au cœur de la proclamation de l’Évangile rappelant que toute la mission de l’Église se veut un service pour les pauvres. Il a joint l’acte à la Parole en vivant dans la simplicité la plus exubérante. Il a essayé d’imiter le Christ dans son dépouillement, dans sa kénose, en vivant la non-puissance en contradiction avec la logique de puissance de ce monde. Et là se trouve un message fort pour l’Église en Afrique. Il y a un besoin urgent pour cette Église de faire sienne cette dynamique de l’option fondamentale pour les pauvres à tous les niveaux, si elle veut encore avoir une voix prophétique au sein de ce continent où les pauvres sont humiliés jour et nuit, où les hommes de pouvoir imposent leurs diktats au mépris de la dignité des plus faibles, où la quête de l’argent et de la richesse à tous les prix est la seule logique qui donne un sens à l’existence. Le Pape a été la voix des sans-voix, l’espérance des pauvres. L’Église en Afrique doit se réapproprier cet héritage. Nous sommes restés longtemps dans les logiques culturelles, d’affirmation identitaire, il est peut-être temps de nous réapproprier cette dynamique de la théologie de la libération pour plus d’engagement prophétique dans le sens de la justice sociale. Pour cela, elle doit avoir le courage d’embrasser un chemin de conversion véritable.
Selon vous quel héritage le Pape laisse-t-il à la société africaine ?
Disons-le clairement, l’Afrique a perdu l’un de ses plus gros défenseurs. C’est un Pape qui a pris fait et cause pour l’Afrique à tous les niveaux. Son combat contre les politiques migratoires européennes a été un combat pour l’Afrique, un continent dont les populations sont fortement impliquées dans la migration avec un nombre considérable de morts et de personnes en état de grande précarité en Europe et parfois même réduites à l’esclavage moderne. Son discours prophétique à Kinshasa en République démocratique du Congo fustigeant directement les puissances occidentales dans le chaos politique, économique et sécuritaire qu’elles créent au nom de leurs intérêts propres a été du jamais-vu. Cette phrase «ôtez vos mains du continent africain», pour nous, cet appel restera à jamais dans l’histoire. En outre, en Centrafrique, à côté du cardinal Dieudonné Nzapalainga, de l’Imam Omar Kobine Layama et du pasteur protestant Nicolas Gueret Koyama, il a été un prophète de la paix. Une paix qui se construit en faisant tomber les murs, les barrières surtout religieuses, exploitées pour nourrir la guerre. La Pape a été assez clair, «on ne tue pas au nom de Dieu». C’est pourquoi, il n’a jamais cessé de prier pour les pays du Sahel fortement frappés par le terrorisme ; une chose qu’il a condamnée durant tout son pontificat. Nous garderons aussi la forte image qui a ému le monde entier lors de l’embrassade des pieds des frères ennemis du Soudan du Sud, Salva Kiir et Riek Machar, implorant la grâce de la réconciliation pour libérer le peuple sud-soudanais devenu prisonnier d’une guerre sans fin. C’était du jamais-vu dans l’histoire de l’Afrique. Chaque fois que le Pape a foulé le sol africain, c’est l’espérance d’un vent nouveau qui a soufflé sur le continent. Les peuples africains, continuellement enclins à un quotidien douloureux et violent ont besoin d’être consolés, ont besoin d’entendre cette voix prophétique qui leur rappelle que rien ne doit compromettre leur espérance. Avec le Pape François, le message était clair pour l’Afrique: l’espoir en des lendemains meilleurs est possible. Et cela passe par l’option fondamentale et radicale de la justice, de la réconciliation et de la paix. Le grand défi pour les Africains reste la capacité à matérialiser dans le concret du quotidien toute cette espérance que le Pape a fait naître dans les cœurs. Il ne suffit pas pour les peuples africains de vivre l’euphorie du moment et s’enfermer dans un quotidien qui n’aura en rien changer. Le Pape a joué sa partition ; à nous de jouer la nôtre.
Pensez-vous que les nombreux messages de paix du Pape François adressés aux pays africains ont porté des fruits ou en porteront un jour ?
Il faut voir le Pape comme un semeur de l’Évangile (Matthieu 13, 1-9). Il est sorti pour semer. La graine semée va tomber sur des bonnes terres et sûrement va produire des fruits. Elle va aussi tomber dans des ronces, et séchée et mourir. Quand on voit la situation au Sud-Soudan, on ne peut pas ne pas être triste de savoir que malgré tous les efforts du Pape défunt, les frères ennemis n’ont jamais pu prendre de la hauteur pour faire la paix au profit du bien-être de leurs populations. En Centrafrique, il y a eu des lignes qui ont bougé. Toutefois, il ne faut jamais désespérer. Le Pape François était le Pape de l’espérance et nous gardons la flamme de l’espérance toujours allumée. Le plus important, c'est de rester dans cette dynamique de la semence et qu’elle puisse porter du fruit, garder l'espérance que rien n'est compromis et que demain, on pourra vivre pleinement de tout le combat que le Pape a dû mener aux côtés de l'Afrique et avec l'Afrique. La dernière œuvre qu'il laisse à l'humanité, c'est son autobiographie intitulée «Espérer». Je considère que c'est le dernier message qu'il nous laisse: «espérer, espérer et espérer».
Quand le Pape François écrit dans son testament spirituel «la souffrance qui s'est manifestée dans la dernière partie de ma vie et l'offrande au Seigneur pour la paix dans le monde et la fraternité entre les peuples», qu'est-ce que cela vous inspire ?
Le Pape est vraiment le seul qui puisse dire exactement à quoi il s’en référait lorsqu’il parle «de souffrance dans la dernière partie de sa vie». Mais de l'extérieur nous la comprenons sous deux angles: tout d’abord, sa santé déclinait considérablement. C’était une souffrance pour quelqu'un qui, dès le début de son pontificat travaillait d’arrache-pied. Il avait encore d'énormes chantiers en cours. Le fait de sentir que ses forces l’abandonnaient davantage était une croix à porter. Et cette croix, il l'a portée jusqu'au bout, dans la foi.
Au second axe de notre réflexion, il faut dire que le Pape François a senti aussi qu'il était rejeté à cause de certaines de ses positions et de ses réformes. Il a senti que ses actions pouvaient entraîner la division dans l'Église. L'unité était sérieusement en cause. Nous supposons que cela a dû être pour lui une grande souffrance morale. Un Pape est garant de l'unité de l'Église et non de division. Il comprit que malgré sa bonne foi, et sa bonne volonté il ne pouvait pas aller plus vite que le temps.
Il part aujourd'hui, en ayant laissé des chantiers ouverts. Il laisse de grandes portes ouvertes. Le Seigneur saura continuer de guider son Église, continuer de porter son Église. Nous pensons que tous les sacrifices qu'il a consentis ne seront pas vains mais ils produiront de bons fruits pour l’Église encore plus belle, forte, ouverte, et plus prophétique naîtront du pontifical du Pape François.
En définitive que pouvons-nous retenir du Pape François et de son amour pour le continent africain ?
Il a été prophète de son temps, il a voulu une Église ouverte qui embrasse tout le monde. Il a voulu être l'apôtre de la miséricorde, des pauvres, et de l'espérance. Il a tout simplement voulu être «le Christ», à sa manière, en son temps, en son époque, au milieu de son peuple. Nous ne pouvons que rendre grâce à Dieu pour le don du Pape François à son Église. Nous continuerons de prier pour lui ainsi ; et du Ciel, il priera pour nous.
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