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Le premier concile de Nicée se tint à Nicée en Bithynie, du 20 mai au 25 juillet 325, sous l'égide de l'empereur Constantin. Le premier concile de Nicée se tint à Nicée en Bithynie, du 20 mai au 25 juillet 325, sous l'égide de l'empereur Constantin. 

Pâques, Nicée et le Jubilé, un appel clair à creuser le désir d'unité entre chrétiens

L'unité dans la diversité est l'un des axiomes les plus usités du champ œcuménique. Cette unité se manifestera de façon chorale et éclatante ce dimanche de Pâques lorsque les chrétiens se réjouiront de la Résurrection, en même temps et par toute la terre. Coïncidence cette année, la célébration commune de Pâques est l'une des décisions pastorales prises par les évêques à Nicée en 325. Éclairage du père Hyacinthe Destivelle OP, official du dicastère pour la Promotion de l'unité des chrétiens.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican 

Cette Année Sainte, la concordance des calendriers liturgiques julien et grégorien permet providentiellement aux chrétiens de célébrer la Résurrection en même temps. La décision d'une date commune fut prise il y a dix-sept siècles, elle fait partie des fruits significatifs et prophétiques du premier concile œcuménique de l’Église à Nicée en Turquie. L’héritage du concile de Nicée commémoré dans un mois, le 20 mai, est monumental pour l’histoire de l’Église. Le 3 avril, la Commission théologique internationale en soulignait toute la portée pour le chemin de l’unité des chrétiens. Le père Hyacinthe Destivelle, official du dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens, en retrace les points saillants, notamment sur le dialogue entre œcuménisme et synodalité. Le théologien met en garde contre de nouvelles formes modernes d'arianisme en 2025 comme ce fut le cas à l'époque du premier concile. Un avertissement déjà lancé par le cardinal Ratzinger dans les années 1990. 

Entretien avec le théologien dominicain Hyacinthe Destivelle, official du dicastère pour la Promotion de l'unité des chrétiens

Quelle était tout d’abord l’intention de ce premier concile œcuménique de l’Église à Nicée?

Ce concile de Nicée a rassemblé pour la première fois les évêques du monde chrétien. Peu de temps après l'édit de Milan, promulgué en 313, et s'est donc tenu en 325 à Nicée, ville qui est proche de Constantinople. Ce concile a rassemblé les évêques pour répondre à une controverse qui concernait la question de l'identité du Christ, une question christologique. Cette controverse portait sur la question de savoir comment concilier le monothéisme de l'Ancien Testament avec la profession de foi en Jésus-Christ comme Fils de Dieu. Un théologien alexandrin, qui enseignait à Alexandrie en Égypte, nommé Arius, affirmait que le Christ ne pouvait être le fils de Dieu, mais qu’il était simplement un intermédiaire entre Dieu et la création.

 

Les Pères du Concile, donc les évêques qui étaient réunis à Nicée, ont rejeté cet enseignement qui divisait le monde chrétien, et ont affirmé tous ensemble que Jésus-Christ est consubstantiel, en grec, c'est l'homoousia. Un mot très important qui a été un peu le symbole de cette foi de Nicée: le Christ est consubstantiel au Père. Ce concile a donc proposé une profession de foi commune à tous les chrétiens, qu'on appelle le symbole de Nicée, ou qu'on appelle aussi le Credo, "Je crois". Un symbole de la foi qui conserve encore toute son autorité, puisque les termes qui ont été choisis à l'époque sont encore ceux que nous prononçons aujourd'hui. Lorsque nous prions le Credo, nous disons «Il est Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu engendré, non pas créé, consubstantiel au Père. Et par Lui, tout a été fait». Tous ces termes ont été professés et définis par le concile de Nicée, il y a 1700 ans. Ces termes-là ont encore aujourd'hui toute leur autorité, qui sont le fondement de notre foi chrétienne.

Quel est l'héritage œcuménique le plus vivant et intact à ce jour du concile de 325?

L’héritage œcuménique du concile de Nicée est immense. J’en soulignerai trois. Le premier, c'est ce symbole de la foi ou le Credo de Nicée, devenu la base de la foi christologique chrétienne, partagée par tous les chrétiens, parce que tous les chrétiens croient et reconnaissent le concile de Nicée et le concile de Constantinople comme des conciles œcuméniques.

Un deuxième héritage important du concile de Nicée de 325, c'est l'accord sur la date de Pâques. Avant le concile de Nicée, certaines Églises célébraient en même temps que la Pâque juive, quel que soit d'ailleurs le jour de la semaine. D'autres célébraient le dimanche qui suivait la Pâque juive. Il y avait une diversité de pratiques. Le concile de Nicée a donné une règle identique à tous les chrétiens: la célébration de Pâques aura lieu le premier dimanche qui suit la première pleine lune de printemps. C'était évidemment important de pouvoir célébrer ensemble le centre de la foi qu'est la résurrection du Christ. C'était essentiel pour l'unité des chrétiens. Enfin, le troisième héritage œcuménique important, c'est la prise de décision en commun, ce qu'on appelle aujourd'hui la synodalité.

Ce premier concile marque-t-il justement le début en actes de la pratique générale d'une forme de synodalité entre évêques?

Le concile de Nicée a introduit dans l'Église la synodalité ou la conciliarité au niveau universel, c'est-à-dire le fait de discuter et de prendre des décisions en commun. Avant, il y avait des conciles locaux, des conciles provinciaux, des conciles régionaux, mais pas de l'ensemble des Églises. D'où le terme œcuménique, qui veut dire de l'ensemble du monde habité, donc, qui a rassemblé tous les évêques.

En fait, on sait bien que tous n’y ont pas participé, mais c'était la première fois qu'il y avait un appel, une convocation de tous les évêques de la chrétienté. Seuls les concile de Nicée et de Constantinople sont reconnus aujourd'hui encore par tous les chrétiens, y compris par les Églises pré-chalcédoniennes ou même pré-éphésiennes, c'est-à-dire qui ne reconnaissent pas les conciles de Chalcédoine ou d'Éphèse, qui sont les troisième et quatrième conciles œcuméniques. Or, cette synodalité inaugurée en 325 au niveau universel par le concile de Nicée est très importante pour l’œcuménisme.

Le Pape François affirme souvent que l’œcuménisme et la synodalité sont indissociables. Il rappelle que le chemin synodal entrepris par l'Église catholique doit être œcuménique, tout comme le chemin œcuménique est synodal. Il y a plusieurs raisons à ce lien entre synodalité et œcuménisme.

D’abord car la manière dont la synodalité est vécue dans l'Église catholique est fondamentale pour ses relations œcuméniques. La façon dont nous prenons nous mêmes les décisions dans l'Église catholique est essentielle pour les relations avec l'ensemble des autres chrétiens.

Ensuite, on peut déjà faire l'expérience d'une certaine synodalité entre chrétiens lorsque nous les associons ou nous nous réunissons tous ensemble pour prier, pour réfléchir. C'est aussi une sorte de synodalité œcuménique. Par exemple, le dernier synode sur la synodalité a fait la proposition d'un synode œcuménique sur l'évangélisation. Et puis un troisième lien entre synodalité et œcuménisme, c'est que nous pouvons aussi beaucoup apprendre des traditions synodales des uns et des autres, car la synodalité s'est développée de manière différente dans les diverses traditions chrétiennes. Cette synodalité inaugurée au niveau universel à Nicée porte donc encore des fruits jusqu'aujourd'hui pour l'unité des chrétiens.

Quelle fut la place de l'Esprit Saint à Nicée et son rôle tout particulier dans le champ œcuménique en général, qui est habité par le défi de l'unité et de l'harmonie?

L'Esprit Saint, le Pape François le rappelle souvent, c'est l'acteur principal de la synodalité, mais aussi du mouvement œcuménique. C'est lui qui fait l'unité dans la diversité. Le concile de Nicée a voulu défendre avant tout la foi christologique et c'est le concile suivant, le concile de Constantinople, qui va préciser la foi en l'Esprit Saint en 381. Le concile de Constantinople, va donc préciser et compléter le Credo de Nicée en ajoutant les articles qui concernent l'Esprit Saint. Et pour cela il va s'inspirer des Pères Cappadociens, en particulier de saint Basile de Césarée, qui avait écrit un traité sur l'Esprit Saint pour affirmer à la fois l'unité en Dieu et la distinction du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint. Trois personnes distinctes qui partagent toutes la même nature divine.

Le concile de Constantinople a donc repris le concile de Nicée, le credo de Nicée, en y ajoutant l'affirmation de la divinité de l'Esprit-Saint. C'est pourquoi on appelle le symbole de la foi le credo de Nicée-Constantinople pour souligner ce double héritage: non seulement le Fils est consubstantiel au Père, mais aussi l'Esprit-Saint est consubstantiel au Père.

Lorsque le Pape François invite à ne pas se souvenir de l'événement de Nicée comme d'une pure commémoration historique, qu’entend-il par là?

Cet anniversaire est l'occasion pour chacun de nous de réaffirmer sa foi christologique, sa foi en Jésus Christ. Est-ce que je crois vraiment que Jésus-Christ est Fils de Dieu? Est-ce que vraiment j'ai bâti ma vie sur cette conviction? Est-ce que vraiment je témoigne de cette foi dans et par ma vie? C'est une première dimension personnelle de notre relation au concile de Nicée.

Au-delà de celle-ci, il y a la dimension communautaire ou ecclésiale. Le symbole d'ailleurs, à l'origine, selon les termes qui ont été choisis par les Pères du Concile de Nicée, dit non pas "je crois", mais "nous croyons, nous croyons en Dieu, le Fils, le Saint-Esprit, etc". C'est en Église que nous pouvons vraiment professer notre foi. C'est d'ailleurs le sens du mot symbole. Le mot grec symbolon désignait dans l’Antiquité la moitié d'un objet cassé en deux qui devait être présentée en signe de reconnaissance. Et donc le symbole, c'est un signe de reconnaissance et de communion entre les croyants. En quelque sorte, nous avons besoin les uns des autres pour pouvoir confesser la foi. Et en poussant plus loin cette image, on peut dire que les chrétiens divisés, des diverses traditions chrétiennes, sont comme des éléments de ce symbole qui doivent trouver leur unité dans la confession de l'unique foi.

En ce sens, cet événement de 325 qui s'est passé il y a 1 700 ans a encore toute sa pertinence aujourd'hui, non pas seulement par le contenu de la foi, mais aussi par le fait que nous devons professer cette foi à la fois personnellement et de façon communautaire.

Cet anniversaire du premier concile de Nicée coïncide avec une année jubilaire et une année où Pâques est célébrée le même dimanche pour tous les chrétiens. Qu'attendre d'une telle concordance temporelle, 2025 est-elle de facto l'année d'un grand pas oecuménique?

Une année jubilaire, c'est d'abord une année pour se ré-ancrer dans le Christ qui est né il y a 2025 ans. Et en célébrant cette année aussi le 1 700e anniversaire du concile de Nicée, nous commémorons le fondement de notre foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu, puisque ça a été le propos même du concile de Nicée que de préciser la foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu. Ce sont deux anniversaires christologiques.

Ensuite, la Providence fait que cette année nous célébrons Pâques ensemble, chrétiens d'Orient et d'Occident. Donc le centre même de notre foi dans la résurrection, non seulement la naissance du Christ, mais la résurrection du Christ, nous pourrons la célébrer ensemble cette année, ce qui arrive d'ailleurs assez régulièrement.

On peut voir dans ces coïncidences, l'année jubilaire, l'anniversaire de Nicée et Pâques, un appel très clair du Seigneur à creuser en nous le désir d'unité. Et aussi, à prendre conscience que l’œcuménisme n'est pas d'abord une question de relations œcuméniques, mais c'est d'abord un mouvement de renouveau intérieur.

Le décret du Concile Vatican II sur l’œcuménisme Unitatis Redintegratio ne demande d'ailleurs rien aux autres chrétiens, mais souligne que c'est à nous, catholiques, qu'il appartient d'examiner notre fidélité à la volonté du Christ pour son Église. Ce qui est vrai pour l'Église est vrai pour tout fidèle. L’unité des chrétiens, ce n'est pas d'abord une question de relations avec les autres chrétiens, une relation entre chrétiens, mais une question de relation avec le Christ. Plus nous sommes proches du Christ, plus nous sommes proches les uns des autres. L'unité commence donc en chacun de nous.

Pourrait-on dresser des parallèles historico-ecclésiaux entre l'année 325 et 2025, deux époques qui obligent à l'unité?

En 325, l'Église sortait à peine de la clandestinité, puisque ce n'est qu'en 313 que Constantin promulgue l'édit de Milan. 325, c'est douze ans à peine après la persécution et l'Église commençait à découvrir combien il pouvait être difficile de partager la même foi dans différents contextes culturels ou politiques de l'époque.

Trouver un accord sur le texte du Credo signifiait définir des fondements communs essentiels sur lesquels on pouvait édifier des communautés locales se reconnaissant comme des Églises sœurs, chacune respectant la diversité de l'autre. Cette conviction est aussi le fondement de la recherche de l'unité aujourd'hui, et c'est un défi pour tous les chrétiens de retrouver cette unité dans la diversité, qui est d'ailleurs le principe même de la Trinité. Un Dieu, trois personnes. C'est cette unité dans la diversité que nous devons aussi aujourd'hui comme en 325, retrouver pour pouvoir avancer dans le chemin œcuménique.

Je dirais une autre chose aussi peut être par rapport au contexte du IVe siècle, c'est que professer le Credo de Nicée, ensemble, c'est particulièrement important à une époque où réapparaissent, on le voit bien de nos jours, des formes d'arianisme qui sont plus sensibles à la figure humaine de Jésus qu'à sa divinité. Pour répondre à ces formes modernes de l'arianisme, nous devons, nous chrétiens, tous les chrétiens, réaffirmer ce Credo et le professer ensemble.

L’œcuménisme est un vaste champ de labeur et de réflexion, tout comme de petits gestes quotidiens. Quelle en est l'approche du Pape François en particulier, selon vous?

Il me semble que le Pape François vit cette oecuménisme avant tout comme un chemin. Il dit souvent que l'unité n'est pas au bout du chemin mais sera donnée chemin faisant, cammin facendo en italien. L'image qu'il utilise souvent est celle des disciples d'Emmaüs qui marchent ensemble sans même se rendre compte que le Seigneur marche avec eux.

Et cette marche commune, et bien c'est précisément le sinodos en grec, c'est le chemin commun, c'est la synodalité. Marcher ensemble, c'est déjà être dans une certaine communion et cette unité nous sera donnée donc non pas au bout du chemin, mais chemin faisant. Pour cela, il faut trois engagements particuliers: la prière, car nous recevrons de l’Esprit Saint l’unité telle que Dieu la veut. Ensuite, il faut aussi, comme le dit le Pape François, travailler ensemble. C'est dans l'action commune que nous nous rapprochons. Témoigner ensemble du Christ pour annoncer ensemble le Christ, donc marcher ensemble, prier ensemble, travailler ensemble. C'est le triptyque œcuménique du Pape François qui est finalement une conception, on peut dire synodale de l'unité.

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17 avril 2025, 15:00