Droits de douane américains: les inquiétudes du continent africain
Entretien réalisé par Augustine Asta - Cité du Vatican
Les nouveaux tarifs douaniers annoncés en grande pompe par Donald Tump le 3 avril dernier touchent le continent africain à des degrés différents. Certains pays comme le Lesotho et Madagascar se voient lourdement pénalisés. Ces hausses de taxes ont d’ailleurs suscité une réaction forte de l’Union africaine, qui considère cette guerre commerciale comme un obstacle à des relations économiques durables. Décryptage des conséquences possibles de cette guerre commerciale dans les pays africains avec Léo Charles, maître de conférences en sciences économiques à l'Université de Rennes 2 et spécialiste des questions de mondialisation et de politique commerciale.
Sur le continent africain quels sont les pays qui ont été les plus touchés par ces nouvelles tarifications douanières de l’administration Trump qui à peine mise en vigueur ce 9 avril ont été suspendues le même jour?
Globalement, tous les pays dans le monde, et a fortiori tous les pays africains sont touchés avec une taxe minimum de 10 % sur leurs exportations vers les États-Unis. C'est un minimum qui est commun à tous les pays africains. Ensuite, on a des pays qui sont notamment beaucoup plus durement touchés, comme par exemple le Lesotho qui est taxé à hauteur de 50 %. On a Madagascar et Maurice qui sont respectivement taxés à 47 et 40 %. Le Botswana à 37 %. Il y a un certain nombre de pays qui sont quand même très, taxés dans ces premières annonces de Donald Trump.
Comment comprendre que le Lesotho, petit royaume d'Afrique australe, soit en tête de la liste des nombreux pays frappés par les droits de douane additionnels massifs présentés le 3 avril dernier par le président américain?
Cette situation montre un peu on va le dire gentiment, la "bêtise" en fait du calcul proposé par l'administration de Donald Trump. C'est à dire que dans sa logique néo mercantiliste, Donald Trump et son administration se focalisent sur les déficits commerciaux. Pour lui, un déficit commercial des États-Unis envers un partenaire, c'est forcément le signe que ce partenaire se protège parfois de façon illégitime. Son calcul des droits de douane, c'est tout simplement le déficit commercial divisé par la somme des importations des Etats-Unis en provenance de ce pays. Et ça nous donne un pourcentage de protection. Il le divise par deux et ça donne le pourcentage de répliques de droits de douane réciproques mis en place.
Et donc, en fait, le Lesotho est un peu victime de ce calcul-là, puisque le pays a un déficit commercial fort relativement à la taille de son pays. En effet le Lesotho exporte certaines matières premières nécessaires à l'industrie nord-américaine, mais importe très peu de biens américains, que ce soit pour les services ou des fins industriels. Les Américains exportent des biens à forte valeur ajoutée que le Lesotho ne peut pas se permettre d'acheter. Il y a donc un déficit qui est assez logique en fait, qui est le résultat de deux modèles de développement et de niveau de développement tout à fait différents.
Quel impact ces droits de douane peuvent avoir sur le continent, si ils sont rétablis après cette pause de 90 jours?
Ce qu'on peut effectivement affirmer, c'est que le coup va être très très dur pour le continent africain. Maintenant, il faut différencier en fait les pays, les secteurs qui vont être touchés. Par exemple, l'Afrique du Sud a une économie largement tirée par ses exportations et le marché américain est un très grand marché pour ses exportations. Et l'Afrique du Sud a les moyens de négocier avec Donald Trump et a déjà entamé des négociations bilatérales avec lui. Pour certains pays ça risque d'être très compliqué, puisque le Lesotho par exemple a un déficit commercial avec les États-Unis, qui n'est pas non plus énorme il s'agit de quelques millions de dollars. Le Lesotho n'a aucun moyen économique d'acheter plus de produits américains et donc là, on risque de lui couper une partie de ses exportations qui fait survivre un peu le pays. Et on a le même cas pour Madagascar qui exporte près de 70 % de sa vanille vers le marché américain. On a des difficultés à imaginer la filière se recomposer, sachant que d'autres pays exportateurs de vanille sont moins taxés. Donc là, l'idée, ça serait peut-être de se réorienter vers d'autres marchés européens ou asiatiques, mais sur le continent globalement africain, ça risque d'être très compliqué ces mesures protectionnistes.
La logique de Donald Trump est finalement assez simple. Il mène ce qu'on appelle une politique néo mercantiliste. En réalité, il faut différencier les mesures protectionnistes qui sont une boîte à outils à disposition des gouvernements dans laquelle il y a les droits de douane. Mais dans cette boîte à outils, ces mesures protectionnistes viennent toujours en soutien à une politique économique particulière. On peut utiliser des droits de douane pour se réindustrialiser et protéger l'emploi national. C'est ce qu'avait très bien fait Joe Biden lors de son de son mandat. La logique de Donald Trump est un peu différente à savoir que son objectif politique, c'est de réaffirmer la puissance économique des États-Unis dans cette mondialisation. La mondialisation, elle a été, depuis les années 1970, construite on peut dire par et pour les États-Unis pour défendre les intérêts Américains et les Etats-Unis se sont retrouvés comme les maîtres du jeu, les arbitres du commerce international. Et avec l'émergence de la Chine, ils ont peu à peu perdu ce rôle. La volonté de Donald Trump est donc un peu d'entamer des bras de fer à tout va pour démontrer que son pays est puissant, qu'il peut faire ce qu'il veut, que personne ne l'en empêchera et qu'il reste finalement le maître du jeu de cette de cette mondialisation.
Peut-il y avoir une entraide africaine économique pour répondre à ces nouvelles taxes?
C'est un souhait. Il faudrait que le continent africain qui a des ressources exceptionnelles en matière de main d'œuvre, de jeunesse qui est de mieux en mieux formé puisse s'engager sur un développement plus fort de son marché interne. Maintenant, il est vrai que c'est un peu la stratégie de Donald Trump de diviser toutes les unions commerciales. Il essaye de diviser l'Union européenne, il va essayer de diviser les pays africains. Je crois que la meilleure réponse est de rester solidaire, d'envisager des réponses qui soient uniques et solidaires au niveau du continent africain. Parce que sinon, le risque est de voir comme fait actuellement l'Afrique du Sud, des pays qui vont essayer de négocier petit à petit, bilatéralement avec les Etats-Unis sans penser au reste du continent africain.
Je crois d'ailleurs que, comme pour l'Union européenne, les pays africains auraient tout intérêt à changer de stratégie de développement. Depuis les années 1980, l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a imposé aux pays africains d'être exportateurs de produits primaires à être des économies très extraverties. Et on voit des problèmes en matière de développement. On voit que c'est une solution qui n'a pas marché. Donc je dirais d'ailleurs, c'est un peu la solution qui est proposée par un économiste africain, Kako Nubukpo, c'est de réorienter finalement son développement vers l'intérieur, et de soutenir la consommation interne, de soutenir l'industrialisation des pays plutôt que de miser sur la compétitivité à l'exportation de matières premières. On peut imaginer que pour entamer ce développement endogène, pour se recentrer, on peut par exemple miser sur les communautés économiques régionales qui existent déjà, comme la CEDEAO par exemple. Et donc on peut créer des zones d'ententes commerciales entre pays africains pour finalement se développer de façon un peu plus endogène.
À présent que devient l’AGOA, cette loi commerciale des États-Unis qui permet depuis plus de deux décennies aux pays africains de faire entrer certains produits sur leur territoire sans payer aucune taxe?
Cette loi qui permet de faire rentrer sur le sol américain sans droits de douane, tout un tas d'exportations du continent africain, de fait est suspendue. Maintenant, c'est une loi fédérale, donc il va falloir que cela passe devant le Congrès américain, c'est prévu pour septembre 2025. Donc là, on va voir les résultats du vote, pour voir si clairement et officiellement, ce programme est suspendu. L'AGOA a permis à de nombreux pays d'exporter vers les Etats-Unis, mais ça les a aussi contraint à se mettre dans un modèle de développement, tiré par les exportations, pas forcément choisi. Et cela a aussi un peu grevé les capacités d'industrialisation et de développement des pays africains. Cela peut donc être aussi l'occasion pour ces pays de se dire qu'ils vont miser sur leur territoire, leur marché intérieur et changer de modèle de développement.
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