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Lors de la seconde session de la XVIème Assemblée ordinaire du Synode des évêques, en octobre 2024. Lors de la seconde session de la XVIème Assemblée ordinaire du Synode des évêques, en octobre 2024.  (ANSA)

La synodalité selon François

Il s'agit d'un processus majeur engagé par l'Église, sous l'impulsion du Pape défunt. Lors de son pontificat, il a convoqué six assemblées synodales, dont deux dédiées à la Synodalité, incitant chaque baptisé à s’exprimer et à prendre ses responsabilités. François a plaidé et œuvré à une «saine décentralisation» de l’Église, avec quel impact sur le mode de gouvernance de l’Eglise, et de l’autorité de la figure du Pape, de l’évêque et du prêtre ? Analyse avec le père Jean-François Chiron.

Marie Duhamel et Manuella Affejee - Cité du Vatican

Le Pape François a réuni le Synode des évêques à de nombreuses reprises dès 2014, pour réfléchir à la mission et à la vocation de la famille dans l'Église et le monde contemporain, aux «jeunes, la foi et le discernement», sur la région panamazonique et «pour une Église synodale: communion, participation et mission». Cette XVIe assemblée, scindée en deux sessions (2023-2024), fut l'aboutissement d'un mouvement engagé dès 2021, et offrit pour la première fois un droit de vote à des religieuses ou des laïcs, hommes ou femmes, soit près d’un membre sur cinq l’an passé.

En ecclésiologie, que signifie la synodalité et à quand remonte cette dynamique ?

La synodalité s’enracine dans la pratique des synodes, autrement dit des conciles, c’est-à-dire de réunions d’évêques, d’une région ou du monde entier («conciles œcuméniques»). Mais le sens actuel est doublement élargi: la «synodalité» ne renvoie pas seulement à des assemblées, par définition ponctuelles, mais aussi à des processus, quotidiens, à tous les niveaux de l’Église (local, diocésain, romain…). Et la synodalité n’est pas qu’une question d’évêques ; c’est tout le peuple de Dieu qui est concerné.

Il s’agit en fait, par le biais de rencontres ponctuelles mais aussi d’institutions adéquates, et plus largement de bonnes pratiques, de faire en sorte que la vie ecclésiale, dans une perspective missionnaire, soit, ou puisse être, l’affaire de tous les baptisés, sans être réservée à une élite (notamment de clercs, d’où la dénonciation du «cléricalisme» par le Pape François).

Une telle perspective a toujours été présente dans l’histoire de l’Église, mais plus ou moins selon les époques. Disons qu’il s’agit, pour le Pape, de sortir de cas de figure où la parole et l’initiative ont pu être, dans l’Église, réservées à quelques-uns.

Au Vatican, les assemblées synodales ne sont pas une nouveauté, mais la pratique de la synodalité semble avoir été redécouverte. En 2014, François demande aux 250 participants de l’assemblée extraordinaire consacré à la famille de «parler clairement» «sans peur de froisser, sans timidité» et «d’écouter avec humilité». Est-il parvenu à réinventer une plateforme d’échanges au ton libre, un véritable espace de débat face et avec le Pape, au moins lors de ces rencontres ?

C’est dans le cadre des synodes romains, rassemblant des évêques représentant l’épiscopat du monde entier, qu’on a pu noter les avancées les plus significatives. De l’avis général, la parole y était très contrôlée par les responsables de la Curie, et avait quelque chose de formel. Le Pape François a vraiment permis la tenue de vrais débats, où des opinions divergentes ont pu s’exprimer, comme on a pu le constater lors des synodes sur la famille et sur l’Amazonie. Liberté, donc, des intervenants vis-à-vis du Pape, mais aussi de la Curie, et aussi liberté des participants les uns vis-à-vis des autres – ce qui a pu être le plus difficile à assumer.

De tels synodes doivent tendre, non pas à une unanimité factice, mais à un consensus qui, sur certains points, n’exclut pas des différences de points de vue, notamment en fonction des nations, mais surtout des continents.

Le Pape insiste sur les questionnaires de préparation aux synodes. En sollicitant le Peuple de Dieu, est-ce une manière de revaloriser la responsabilité de l’ensemble des baptisés et donc des laïcs, conformément aux enseignements de Vatican II ? Le sensus fidei était-il trop négligé à Rome ?

Le sensus fidei fidelium, c’est-à-dire le sens de la foi des fidèles, a pu constituer un thème de discours édifiants plus qu’une réalité. Consulter les catholiques en amont des rencontres d’évêques est une façon de leur donner la parole, comme on l'a constaté avec les «remontées» diocésaines et nationales. L’enjeu est que l’ensemble des «sensibilités» ecclésiales puisse se faire entendre, et pas seulement les convictions – légitimes ! – de minorités plus motivées. Un autre enjeu consiste à honorer la diversité des attentes exprimées, sans pour autant porter atteinte à la communion: mais une vraie communion n’exclut pas les tensions, dès lors qu’on cherche à les assumer. Ce doit aussi être l’occasion, pour les responsables ecclésiaux, de prises de parole: expliquer pourquoi la prise en compte de telles requêtes est, ou non, envisageable. La participation des théologiens et des canonistes doit être encouragée.

Le Pape met souvent en exergue la vie des premières communautés, les décisions étaient alors collectives, mais est-ce l’intention du Pape ? Lorsqu’il propose de «marcher ensemble» pour avancer et «franchir des seuils», est-ce une manière de redéfinir la prise de décision au sein de l’Eglise ?

Il ne faut pas idéaliser la façon dont les décisions étaient prises aux origines. Lorsqu’on lit saint Paul (par ex. ses lettres aux chrétiens de Corinthe), on voit que la parole de l’apôtre était forte et s’imposait. L’Église n’a jamais vécu sous un régime démocratique. L’enjeu est d’articuler les trois registres du «un seul» (le curé dans la paroisse, l’évêque dans le diocèse, le Pape dans l’Église universelle), des «quelques-uns» (les différents conseils paroissiaux et diocésains, la curie à Rome…) et du «tous» (l’ensemble des fidèles, aux différents niveaux). Le «un seul» est traditionnellement privilégié dans la tradition catholique. Il s’agit de parvenir à un équilibre plus satisfaisant.

On s’accorde sur la nécessité de consultations plus réelles et d’une participation aux décisions ; l’une des questions est de savoir si le dernier mot doit toujours revenir aux ministres ordonnés (curé, évêque, pape) seuls, c’est-à-dire au «un seul». Si ce n’était plus le cas, on sortirait de la tradition catholique pour opter pour un système démocratique. Ira-t-on jusque-là ? Ce qu’il faut à coup sûr envisager, c’est une libre prise de parole avant la décision (qui ne pourra qu’en tenir compte) et une vraie responsabilité de la part des «décideurs».

Défenseur d’une «saine décentralisation » pour «soutenir les principes de rationalité, d'efficacité et d'efficience», le Pape a renforcé la responsabilité pastorale des évêques, des conférences épiscopales et des supérieurs majeurs quant à la création de séminaires interdiocésains, l'incardination de clercs, la publication de catéchismes… Dans le même temps, ce ne sera plus à eux mais au Vatican de donner un feu vert pour la création d’associations publiques de fidèles ou d’instituts de vie consacrée. Sous le pontificat de François, comment s’est articulé le rapport entre la Curie et les Églises locales ?

Il y a quelque chose de paradoxal, en effet, à voir le promoteur d’une politique de «saine décentralisation» exiger le feu vert de la Curie pour la création d’associations de fidèles et d’instituts religieux. Rappelons aussi, par exemple, que la nouvelle constitution régissant les universités catholiques n’allège pas la tutelle romaine. S’agissant des associations de fidèles et instituts religieux le Pape estime que le discernement des seuls évêques diocésains a pu se révéler défaillant: un certain nombre d’exemples, de fait, en témoignent, qui ont été pour quelque chose dans les abus dont l’Église catholique a été le lieu, s’agissant de la protection des personnes. Rome a un recul et, peut-être, une sagesse dont les instances locales peuvent ne pas avoir les moyens.

Il faut se rendre à l’évidence: la synodalité, telle qu’on la comprend en catholicisme, diffère de ce qu’on entend par là dans les Églises orthodoxes, ou en protestantisme. Il existe, dans l’Église catholique, un centre doté d’autorité, au service de l’ensemble, et qui veille à l’unité du tout. Notons toutefois que, si une certaine centralisation devait perdurer s’agissant du registre universel, on ne voit pas pourquoi celle-ci ne serait plus légitime pour les deux registres locaux, diocésain et paroissial, s’agissant de l’autorité de l’évêque et du curé. Un minimum de cohérence s’imposera.

Les décisions précédemment citées ont été prises par Motu Proprio et par rescrit ; des textes qui émanent de la volonté du Souverain Pontife, non des dicastères. En 12 ans, le Pape a publié 77 Motu proprio, plus que sous les pontificats de ses deux prédécesseurs réunis. N’est-ce pas paradoxal pour le Pape de la synodalité ?

Il y a là aussi quelque chose de paradoxal, puisque «motu proprio» signifie «de son propre mouvement»: il s’agit de documents que le Pape peut prendre de sa propre initiative, sans consultation préalable. Mais c’est un bon moyen pour mener à terme des réformes. Peut-on réformer démocratiquement une institution qui n’est pas, et ne se veut pas, démocratique ? Osons dire que «qui veut la fin veut les moyens», ici les «motu proprio». Reconnaissons que des consultations enliseraient toute velléité de réforme, surtout à Rome où l’on s’y entend pour faire traîner les choses, les forces d’inertie étant considérables, paraît-il, à la Curie. Moyennant quoi, un Pape ultérieur peut toujours revenir sur un motu proprio de son prédécesseur, ou le corriger: dans des questions de discipline, l’infaillibilité n’est pas en cause.

Garant de l’unité de l’Église, quelle est la place de l’évêque de Rome et du munus pétrinien dans l’architecture synodale ?

On parlera de communion, terme théologique qui désigne une unité qui implique le jeu de diversités. La communion dans et de l’Église est d’abord communion dans une même foi – ce qui n’interdit pas la diversité des expressions de cette foi. La fonction propre du successeur de Pierre (qui est aussi et même d’abord évêque de l’Église de Pierre et de Paul) est de veiller à ce que ce soit bien la foi de l’Évangile, la foi des apôtres, qui fasse la communion de et dans l’Église. Le rôle du Pape est donc d’abord magistériel, et il peut inclure, dans des cas limités, le charisme de l’infaillibilité, toujours au service de la vérité révélée.

Plus largement, cette autorité magistérielle, doctrinale, a pour corollaire, à son service, une autorité pastorale sur toute l’Église et sur tous les catholiques. Cette autorité a grandi au long des siècles, jusqu’à atteindre un sommet aux XIXe-XXe siècles. Doit-on envisager quelque chose comme un amoindrissement de cette autorité, doctrinale et pastorale ? Ce n’est pas sûr, en ces temps de mondialisation cahotique, de fragmentation des sociétés en groupes qui tendent à s’ignorer (on parle d’«archipelisation»), de radicalisations idéologiques. Il s’agit plutôt d’associer cette autorité à d’autres: en premier lieu celle des évêques, pris individuellement ou en conférences épiscopales, et en sachant prendre en compte le sensus fidei des fidèles, donc en considérant que ceux-ci ont leur mot à dire, au Pape et à l’Église, s’agissant de ce qui est bon pour l’Église, c’est-à-dire, aussi, pour eux. Ce qui vaudra, en premier lieu, pour les questions éthiques, où les fidèles laïcs ont l’expérience du terrain. Mais qui dit libre parole dit aussi régulation ultime de cette parole, et c’est là qu’on retrouvera le rôle de l’évêque de Rome.

Pour le Pape François, la synodalité configure la mission de la hiérarchie non pas dans le commandement mais dans le service ? Est-ce ce qu’il laisse à la postérité ?

Il me semble surtout qu’il ne faut pas opposer autorité (ou «commandement») et service. Les réponses aux questions précédentes montrent qu’une dimension d’autorité est, non seulement inhérente à la tradition catholique, mais requise dans l’Église catholique au même titre que dans tout groupe humain tant soit peu diversifié et institutionnalisé. Mais l’autorité doit, évidemment, être comprise comme un service, le Christ l’a rappelé avec force.

Le Pape François n’aura pas, à cet égard, révolutionné l’Église, en remplaçant des références théologiques par d’autres. Mais il aura libéré la parole, de la «base» (consultations diocésaines) au «sommet» (synodes d’évêques), et ce n’est jamais anodin: l’autorité ne peut décider comme si rien n’avait été dit. Il a aussi procédé à certaines réformes, dont nous avons rappelé quelques-unes. Enfin, par ses initiatives, par ses formules, et d’abord par sa personnalité, il aura, non pas imposé (la liberté de chacun reste entière) un «style» mais constitué une référence – parfois clivante, certes, c’est le lot de toute forte personnalité qui assume ses responsabilités: on ne pourra plus, après François, être catholique tout à fait comme on l’était avant. Et l’institution, certes nécessaire, pourra toujours s’entendre rappeler, à tous les niveaux, qu’elle n’est pas une fin en soi et est appelée à répondre, devant toute l’Église, de ce qu’elle est et fait.

Moyennant quoi, ce qu’a entrepris François est le début d’un processus: un adage d’origine protestante dit que l’Église sera toujours à réformer ; les Papes d’après Vatican II diront qu’elle est toujours à convertir. Sous la motion de l’Esprit, l’avenir sera ce qu’en feront les catholiques, chacun selon ses charismes.

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25 avril 2025, 12:00