Mgr Caccia: à l’ONU, François «faisait consensus»
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Aux États-Unis, les drapeaux étaient en berne au Palais de Verre, siège des Nations unies. Ce mardi, lors d’une session convoquée spécialement, l’Assemblée générale a rendu hommage au Pape François. Son portrait, ceint d’un bandeau noir, surplombait la tribune où les représentants de nombreux pays, de la France aux Philippines, ont pris la parole, pour reconnaitre de manière chorale l’empreinte universelle laissée par le Pape argentin.
Le président de l’Assemblée, premier à s’exprimer, a évoqué «une voix morale et une conscience globale» soucieuse de «défendre avec humilité et courage la dignité des personnes marginalisées et des pauvres». À l’instar du Camerounais Philemon Yang, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres, présent à l’enterrement de François samedi 26 avril à Rome, a salué la capacité du Saint-Père à appeler les dirigeants du monde à la responsabilité, évoquant un «messager de paix» dont la voix «a inspiré des millions de personnes à croire en un avenir plus juste et plus durable».
Mgr Gabriele Caccia revient sur la qualité de cet hommage. Il est l’observateur permanent du Saint-Siège aux Nations unies depuis 2019, nommé à ce poste par François
Quelle a été la qualité de l'hommage rendu au Pape François aux Nations unies ?
Ma première impression, c'est que cela fut une réponse vraiment chorale. Tous les membres de l’ONU se sont rendus présents soit en signant le livre de condoléances, soit en participant à une célébration qui s'est tenue dans la cathédrale de New York en mémoire du Pape François, soit en participant presque tous ce mardi à la commémoration qui s'est tenue à l'Assemblée générale. Tous ont souligné que la figure du Pape François ne touchait pas uniquement les quatre coins du monde. Au-delà de la géographie, elle touchait chaque personne. Tous se sentent vraiment proche de l'Église en ce moment, comme une famille humaine perdant un membre bien-aimé. C'était en quelque sorte le sentiment général. En termes onusiens, on pourrait dire qu’il a fait consensus, tout en prenant des positions claires sur les principes de justice, d'équité, d'humanité, et en appelant partout au bien commun, même là où les chemins ne sont pas exactement optimaux pour l'ensemble de l'humanité.
En 2015 à la tribune du Palais de Verre, le Pape avait mis les dirigeants du monde devant leurs responsabilités, pour sauvegarder la Maison commune, modifier un modèle économique ne garantissant pas le bien de tous, mettant en garde contre la colonisation idéologique. Comment pensez-vous que ce discours a imprégné les membres de l’Assemblée ?
Je dirais qu'il s'est développé chez les dirigeants -et nous l'avons vu dans différents différents processus portant sur de grandes questions comme l'environnement, à commencer par la COP de Paris- mais aussi dans l'opinion publique, une sensibilité générale et aujourd’hui certaines valeurs s'inscrivent dans un contexte plus large, pas seulement dans un discours strictement gouvernemental ou technique venant des personnes compétentes en la matière. En ce sens, la diffusion de textes tels que Laudato sì, ainsi que Fratelli tutti, pour ne citer que quelques-unes de ses encycliques, a également beaucoup aidé à créer un consensus et une mentalité commune pour faire face à ce qu’on peut réellement qualifier de problèmes mondiaux, et qui nécessitent des réponses mondiales.
La voix de François était consensuelle du point de vue des Nations unies, dites-vous, mais toujours à contre-courant..
C'était très beau d’entendre parler le président de l'Assemblée générale, le secrétaire général des Nations unies, les représentants de tous les pays réunis dans différents groupes régionaux. Il y a eu aussi un hommage de tous les petits pays qui voulaient exprimer leur solidarité. En écoutant tous ces discours, on a pu voir combien le Pape a réussi à faire prévaloir l'intérêt commun sur les logiques partisanes. Même s'il y a des difficultés dans des cas concrets pour accepter et transformer les appels à la paix, par exemple, ou encore ses appels sur le climat en politiques concrètes, néanmoins la perception reste que cette voix s'est élevée pour le bien de tous, qu'elle devient en quelque sorte une référence si l'on veut aller dans cette direction. En ce sens, je parlerais de consensus, ce qui ne signifie pas que toutes les choses dites sont immédiatement traduites en actions, mais elles créent les conditions nécessaires à la mise en œuvre d’orientations qui sont en tout cas partagées.
Que représentent les Nations unies pour le Pape François, dont on sait qu'il était un défenseur du dialogue et du multilatéralisme?
Nous pourrions dire que les Nations unies sont, au niveau institutionnel, le seul endroit où les 193 membres qui composent les pays du monde peuvent se réunir en permanence, dialoguer et faire face aux défis communs qui dépassent les capacités propres à un pays pris individuellement, et en ce sens, c'est aussi une école, une école de la paix, une école du dialogue. Bien sûr, les étudiants doivent aussi vouloir étudier et, ainsi, rien n'est acquis, toutes les institutions ont la possibilité de s'améliorer, elles doivent même s'adapter aux nouvelles situations, mais il s'agit certainement d'un instrument qui n'a pas d'équivalent, puisque les petites assemblées ou institutions régionales et continentales ou même les différents groupes du G7 et du G20, laissent beaucoup de monde dehors.
Il est donc évident que la présence à New-York du Saint-Siège en tant qu'observateur au siège des Nations unies est très importante.
Disons que même simple observateur et compagnon conscient de ne pas avoir tous les moyens dont les États disposent, nous avons une voix qui est entendue et appréciée avant tout parce que c'est une voix qui profite à l'ensemble, pas seulement à un groupe, à un pays ou à une catégorie, et en ce sens il y a un respect sincère, une appréciation et aussi, disons-le, très souvent une amitié sincère.
Mardi, vous avez invité les nations à redonner l'espérance au monde. Promouvoir la dignité de chaque membre de la famille humaine, la justice sociale, la préservation de la création et, bien sûr, la paix, de nombreux défis pour le prochain Souverain pontife. Quelles leçons vos prédécesseurs laissent-ils au futur Pape et comment ce dernier pourra-t-il contribuer à rendre le dialogue plus efficace, à accélérer la réforme de l’ONU, «institution nécessaire mais perfectible» selon François?
Je crois que dans l'Église, nous avançons toujours comme un grand fleuve et il y a des choix qui marquent leurs temps, par exemple le Concile Vatican II a mis en place de grandes lignes directrices et ensuite chaque Souverain pontife s’en fait l'interprète et le guide, en fonction également de l'évolution des situations qui ne sont pas prévisibles. L'histoire n'est pas entre nos mains. Mais je pense qu'il y a comme un grand courant dans lequel chaque Pape, avec sa caractéristique personnelle, sa sensibilité et son esprit, apprend à lire et à interpréter les signes des temps, pour apporter sa contribution. Mais je considère qu'il s'agit d'un grand voyage commun. Ici, pour reprendre les mots du Pape François, il s'agit d'un peuple en chemin et la direction est prise ensemble. Il y a ceux qui courent plus loin, ceux qui sont un peu en retard, mais nous avançons tous sur ces grandes questions et, en ce sens, le Concile reste toujours un phare pour l'Église, pour son chemin, même aujourd'hui.
Une question plus personnelle peut-être. Quel impact le Pape François et son pontificat ont-ils eu sur votre ministère?
Concrètement, il a changé ma vie, dans le sens où j'étais à un endroit, au Liban, il m'a déplacé à un autre, aux Philippines, et des Philippines il m'a envoyé ici. C'est donc un impact très concret, mais mis à part la plaisanterie, certainement la façon dont il s'est occupé de nous tous, le fait qu'il y ait eu des réunions tous ensemble et que chaque année, il ait pris le temps de nous recevoir personnellement, tout cela laisse une impression très forte. Pour moi, cela a donné une impulsion à ce sens missionnaire de l'Église, à ce sens de la joie. Evangelii Gaudium reste l'opus magnum du pontificat, et pour nous qui voyageons ainsi d'un continent à l'autre, voir à quel point cette exhortation affecte la vie des Églises au quotidien est un beau témoignage. Je crois qu'il a apporté un souffle de jeunesse et aussi de joie à la tâche missionnaire de toute la communauté chrétienne.
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