«Les cardinaux ont besoin de la prière des humbles et des petits»
Delphine Allaire – Cité du Vatican
«N’oubliez pas de prier pour moi», concluait systématiquement le Pape François dans ses homélies, adresses et discours divers. Sept jours avant le début du conclave, à la veille du 1er mai et de l’entrée dans le mois marial, le collège cardinalice sollicite la prière du peuple de Dieu. Les cardinaux, assurant la continuité du Siège apostolique en cette période de vacance, qualifient, selon saint Paul, la prière des fidèles «de véritable force» à même «de favoriser l’unité de tous les membres dans l’unique corps du Christ». Le regard du frère dominicain Sylvain Detoc, spécialiste de la théologie du rosaire, enseignant à l’Institut catholique de Toulouse, et auteur de nombreux ouvrages dont «La gloire des bons à rien. Guide spirituel pour accueillir l’imperfection» à la Librairie éditrice vaticane (LEV).
Comment la prière chorale de tous les fidèles peut-elle favoriser l'unité de l’Église si cruciale en ce moment?
L’unité trouve son principe dans l'Esprit Saint qui anime l'Église. S'il n'y avait pas l'Esprit Saint dans l'Église, nous serions une sorte d'ONG. Le Pape François insistait beaucoup là-dessus. Au mieux, une ONG qui fait du bien, au pire une ONG qui ne fait pas de bien. Mais il n'y aurait rien de plus, une sorte de plafond de verre qu'on n'arrive pas à crever. L’Esprit Saint nous tire dans le monde d'en haut, dans le monde du Seigneur, le monde de Dieu. C'est lui qui donne à l'Église son unité. Et quand on prie, on se dispose à accueillir aussi cette unité. Si on est face à l'événement qu'est l'élection d'un nouveau Successeur de Pierre dans une attitude mondaine, c'est à dire une attitude humaine trop humaine où l’on commente ou l’on bavarde, on risque de manquer la dimension surnaturelle de ce que cet événement nous invite à accueillir dans la foi.
L’Esprit Saint est le chef d'orchestre pour nous mettre au diapason les uns les autres, nous unir dans cette prière unanime. Je pense aux apôtres, au Cénacle qui priait dans cette unité de cœur pour accueillir l'œuvre de l'Esprit Saint pour eux, en eux, à travers eux.
Les successeurs des apôtres, aujourd'hui à Rome, sont réunis et s'apprêtent à entrer aussi dans cette démarche. Ce n'est pas qu'une question purement humaine d'élection d'un chef. Il y a cette ouverture du cœur à une œuvre qui nous dépasse, qui vient d'au-dessus de nous, d'au-delà de nous. Accueille-t-on cette œuvre surnaturelle, sommes-nous disposés à ce que cette œuvre se fasse?
Dans leur invitation à la prière, les cardinaux reprennent la métaphore paulinienne du corps vivant de l'Église. L’Église est un corps vivant. Le magistère de l'Église, aujourd'hui représenté par le collège des cardinaux d'une façon éminente est un organe vital. Les organes vitaux ne sont pas le corps, mais au service du corps. Ce qui est extrêmement beau, c'est que l’on a l'un des organes vitaux les plus déterminants qui dit à tout le corps, à toutes les cellules du corps, “on a besoin de tout le monde, on a besoin de la prière de tous”. On a besoin que tout le monde fasse corps autour de l'œuvre que l'Esprit Saint veut faire pour l'Église, par l'Église dans l'Église. Je trouve ça extrêmement beau de leur part de se considérer comme au service d'un corps vivant qui est plus grand que ce corps.
Si je reprends les grandes images de saint Paul, Jésus à la tête en quelque sorte, l'Esprit Saint est comme l'âme qui anime ce corps. Et dans ce corps, nous sommes tous des membres des cellules. Le magistère de l'Église est l'un des organes vitaux déterminants. Il y en a d'autres, il y a la Sainte Écriture, il y a la Sainte Tradition, etc. Ces organes vitaux sont au service d'un corps vivant qui est plus grand qu’eux. Et là on sent que sans tout le corps, quelque chose pourrait ne pas fonctionner. Ce que les cardinaux sont en train de faire est au service de tout ce corps vivant animé par l'Esprit Saint.
Face à l'écrasement et à la grandeur de la tâche incombant aux cardinaux, de quelle façon la prière du peuple de Dieu représente-t-elle un acte d’humilité?
En entendant votre question me vient à l'esprit le fait que le calendrier liturgique est vraiment approprié. Il n'y a pas de hasard. Nous sommes dans le calendrier du temps après Pâques, où les apôtres étaient, après la résurrection de Jésus, quand même, dans une sorte d'entre deux, ils ne savaient pas trop quoi faire. Ils tâtonnaient.
Après la Résurrection et l'Ascension, Marie est avec eux. Marie prie avec eux. Ce jeudi nous entrons dans le mois de Marie. Ce n’est pas banal. L'Église sent ce besoin de faire corps dans une prière unanime, la prière des petits, la prière des humbles. Il y a mille anecdotes dans la tradition populaire qui mettent en valeur la prière des petits. Comme celle de ce grand prédicateur en chaire en train de faire un sermon qui fait des merveilles, des personnes se convertissent, il s’en enorgueillit. L'Esprit Saint lui montre qu'en fait, la raison d'être de cette réussite se trouve dans la petite dame âgée qui est sous la chaire et qui dit son chapelet, qui prie humblement. La prière des petits fait tenir l’Église debout. Il est important de mobiliser tout le monde dans cette prière pour accueillir la volonté de l'Esprit-Saint sur l'Église. Qu’aujourd'hui les cœurs s'assouplissent et se mettent à l'écoute de ce que l'Esprit dit aux Églises.
Nous sommes dans le temps pascal où la liturgie nous invite à méditer sur le texte de l'Apocalypse. Au début de l'Apocalypse, vous avez ces passages extraordinaires où Jésus ressuscité invite les Églises auxquelles l'Apocalypse est adressée à écouter ce que l'Esprit dit aux Églises.
Que dit l'Esprit à l'Église aujourd'hui? Toutes les questions latérales relèvent du bavardage mondain. La question n'est pas de savoir s'il faut être traditionaliste ou progressiste. La question centrale est: que veut accomplir l’Esprit Saint pour l'humanité d'aujourd'hui dans la succession des apôtres? L'Église n'est pas une œuvre des hommes pour Dieu, c'est l'œuvre de Dieu dans des hommes.
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